Incendies dans l’Aude, à Marseille, cyclone tropical à Mayotte, canicules à répétition, maladies, pollution : les conséquences du dérèglement climatique sont plus vives que jamais. L’urgence est là, face à nous. Notre maison continue de brûler et, plutôt que de redoubler l’effort pour contrer les effets dévastateurs de la crise écologique, les pouvoirs publics français et européens semblent se résigner à la fatalité. Jusqu’à la fin de l’été, je propose une série de chroniques pour tenter d’identifier ensemble des solutions. Après l’épisode consacré à la grande adaptation du territoire, ce deuxième opus s'intéresse à la bifurcation écologique comme condition de notre prospérité économique.

Shipbreaking #13, Chittagong, Bangladesh, 2000 - Crédit : Edward Burtynsky
Shipbreaking #13, Chittagong, Bangladesh, 2000 - Crédit : Edward Burtynsky.

Profitant de l'été qui laisse le temps de la pensée, je vous proposais il y a quelques jours ce nouveau format d'échange et de dialogue. Ces chroniques me permettent de livrer une réflexion en mouvement. Une pensée qui évolue, et que je souhaite voir saisie par le plus grand nombre pour être mise en perspective, renforcée, précisée. J'ai bien conscience que le temps long est devenu un impensé de la pensée politique, et j'assume cette volonté de revenir à un mouvement de fond, qui s'affranchit des règles de l'instantané et de la consommation de contenus ; j'espère modestement réussir par ces textes à construire une doctrine avec la somme des expertises et des savoirs. Là est le cœur de la démarche que nous avons initiée avec la France humaniste : retrouver le fil collectif qui nous permettra de chevaucher nos contradictions pour inventer ensemble un nouvel horizon pour la France.

Le 29 août, j’interviendrai en conclusion des universités d’été de l’économie de demain organisées par le mouvement Impact. Je suis marqué par le choix de ce nom, qui révèle un double-mouvement essentiel: celui de la prise de conscience collective des conséquences de nos actions, et celui de l'ambition affichée de transformer, par nos choix et nos décisions, la fatalité promise en résistance nécessaire.

Cela m'amène à m'intéresser à une nouvelle pierre, immense, de l'édifice que nous voulons construire. Comment faire de l’écologie une opportunité pour rééquilibrer tout notre modèle économique ? Comment en faire non pas la contrainte de l’époque, mais la condition de notre prospérité durable, de notre souveraineté et de notre cohésion sociale ?

« Au lieu de voir l'écologie comme un obstacle, voyons-la comme une opportunité. »

Il y a vingt ans, le président Jacques Chirac inscrivait la Charte de l’environnement dans la Constitution. Pour la première fois de notre histoire, la protection de l’environnement devenait une matrice républicaine essentielle et indépassable. Deux décennies ont passé et l’ambition affichée est trop souvent restée un ornement. Pendant ce temps, les catastrophes climatiques se succèdent et l’économie demeure dominée par un modèle qui nie l’évidence : la croissance matérielle infinie sur une planète finie est un leurre. Le réalisme consiste désormais à intégrer les limites physiques dans chaque décision économique et à mesurer la puissance d’un pays non plus à l’extraction mais à l’efficacité, à la sobriété et à l’innovation utile.

Il s'agit de revenir à un principe clair que chacun s'applique dans l'intimité : pour tenir un budget à l'équilibre, chacun vit selon ses revenus et en tâchant de ne pas dépasser le montant de son salaire. Il faut faire de cette évidence sociale un principe d'organisation de nos ressources ; mesurer notre patrimoine de ressources, évaluer leur capacité de régénération, et réorienter la croissance pour viser une diminution nette de leur usage.

Au lieu de voir l’écologie comme un obstacle, voyons-la comme une opportunité. Comme le levier de notre redressement productif, industriel et économique. Cela suppose trois choix majeurs : des règles claires, avec des seuils écologiques précis à ne pas dépasser; des incitations lisibles qui reflètent le coût réel de la pollution et de l’épuisement des ressources, et une redistribution juste à travers des mécanismes assurant l’acceptabilité sociale de la transition.

Crédit : Charlie Chaplin dans Les temps modernes, 1936
Crédit : Charlie Chaplin dans Les temps modernes, 1936.

Ainsi que je l’explique dans mon livre Le pouvoir de dire non, le modèle néolibéral touche à sa fin. L’exploitation démesurée du monde pousse la planète dans ses retranchements. La mondialisation n’engendre pas seulement des inégalités sociales insoutenables, elle épuise les ressources, dégrade les écosystèmes et installe une précarité énergétique et alimentaire durable pour les plus fragiles. Nous ne pouvons plus accepter pour seul projet collectif la course à la production et à la rente, où le moins‑disant social et environnemental devient la règle. La puissance du XXIᵉ siècle se mesurera à la résilience des systèmes vitaux — eau, énergie, santé, alimentation — et à notre capacité à en réduire les risques.

Depuis des décennies, le débat public oppose artificiellement écologie et économie. Cette opposition est un contresens historique et une aberration politique. L’environnement est précisément le domaine où l’échec du marché apparaît avec le plus d’éclat. Pollutions, extinction des espèces et effondrement de la biodiversité, dérèglement climatique : tout découle d’externalités ignorées qui ne sont pas intégrées dans les décisions.

La protection volontaire de l’environnement, si louable soit‑elle, et ce « colibrisme » — l’idée que des gestes individuels suffiraient à renverser la tendance — favorisent les comportements de passagers clandestins, où certains profitent des efforts des autres sans prendre leur part. D’où la nécessité absolue de l’intervention publique. L’État doit fixer des règles, encadrer les activités polluantes, corriger les prix et orienter l’investissement. Quand des pays du Golfe créent l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP en 1960, en coordonnant les volumes et en pesant sur les cours par la force du collectif, ils rappellent au monde que l’économie est une question de régulation et de La régulation économique au service de l’écologie n’est pas une option, mais une condition.

Il ne s’agit pas d’étouffer l’économie sous le poids d’une réglementation toujours plus lourde, ni d'empiler les normes abusives. Ce qui étouffe l'innovation, ce n'est pas la présence de normes, mais leur incertitude. Mieux vaut une loi claire, stable, précise, qu'un conglomérat de règles vagues qui laissent place au contentieux et à l'instabilité juridique. Les acteurs économiques, y compris les entreprises, ont besoin de repères. L’humanisme est une politique de la raison,des seuils et des limites. Il nous faut interdire ce qui nuit manifestement, exiger des performances mesurables et laisser ouvertes les voies de l’inventivité.

« Si la transition est menée intelligemment, en activant tous les leviers à notre disposition, nous pouvons espérer la création de 700 000 à 800 000 emplois nets d'ici 2050. »

La première des tâches que nous devrons nous assigner, c'est de repenser nos indicateurs de progrès. Le PIB seul est inadapté au siècle. Nous devons lui intégrer la dimension sociale et environnementale. Si l'indice de développement humain proposé par l'Organisation des Nations Unies est un pas utile, je crois que nous devrons imaginer un nouvel indice, composite, de « prospérité durable », qui pondère la capacité productive d'un pays par son impact écologique et social.

Il faudra déployer par ailleurs des mécanismes fiscaux généralisés pour accélérer la bifurcation écologique. Les entreprises qui investissent dans l’efficacité énergétique, l’économie circulaire, l’économie sociale et solidaire, le recyclage, la sobriété numérique ou encore la réduction des intrants doivent être encouragées par des avantages fiscaux. À l’inverse, celles qui continuent à pratiquer la surconsommation de ressources devront assumer le coût réel qu’elles font peser sur la collectivité.

Cette fiscalité écologique ne doit pas être perçue comme une punition. Elle doit être comprise comme un outil de compétitivité durable, qui incite à produire mieux tout en protégeant l’avenir. Taxer plus fortement les entreprises polluantes doit nous permettre de dégager suffisamment pour financer la transition, accompagner les petites entreprises dans leurs efforts et les ménages modestes pour compenser les effets sur leur pouvoir d'achat. La bifurcation écologique n’est pas un fardeau, c’est une chance historique que nous devons convertir en atout pour la réindustrialisation et l’emploi.

La pandémie l’a montré avec gravité : notre pays s’est retrouvé à bout de souffle, sans production souveraine de médicaments, de masques et de matériel médical. Chaque année, des fleurons délocalisent et des milliers d’emplois disparaissent. Notre outil industriel a pris du retard et nous n’avons pas accompagné assez tôt les transitions professionnelles. Or l’industrie verte requiert des ouvriers qualifiés, des ingénieurs capables d’inventer de nouvelles méthodes de production et des milliers de travailleurs pour les fonctions de support. La clé se trouve dans la formation professionnelle et l’enseignement supérieur. Les ouvriers qualifiés de demain seront des acteurs centraux — maintenance des réseaux électriques, réhabilitation des bâtiments, conception et maintenance de centres de données éco‑conçus, ingénierie hydraulique et climatique.

Aujourd'hui, nous le savons, le marché de l'emploi est en crise. Passés 50 ans, les offres se raréfient, et de nombreux travailleurs qui ont pourtant accumulé des décennies d'expérience se retrouvent sans ressources. En nous appuyant sur leurs savoir-faire, sur leur expertise, sur leur connaissance fine des outils de production, nous pouvons répondre à ce double impératif : transformer notre modèle de production et garantir à chacun un emploi jusqu'à l'âge de la retraite. Il faut pour cela que la transition s'appuie sur ses deux jambes, à savoir d'une part la formation d'une nouvelle génération de professionnels, de l'autre un accompagnement poussé des salariés en reconversion. En nous adossant aux structures existantes, comme France Travail, nous pouvons redonner un horizon à des centaines de milliers de citoyens en perte de repères.Si la transition est menée intelligemment, en activant tous les leviers à notre disposition, nous pouvons espérer la création de 700 000 à 800 000 emplois nets d'ici 2050. C'est un cercle vertueux, qui permettra à des femmes et des hommes de sortir de la précarité, à l'Etat d'augmenter ses recettes et aux jeunes générations de trouver un emploi stable et porteur de sens.

Il nous faudra pour cela former une élite scientifique écologiquement lettrée, revisiter les programmes des grandes écoles, réhabiliter l’université dans sa mission de recherche et encourager la recherche appliquée. Créons un Plan Compétences Transition associant régions, branches professionnelles et universités, avec des reconversions massives, un apprentissage revalorisé prévoyant des bonus pour les métiers en tension et des campus territoriaux dédiés aux réseaux, à la rénovation, à la maintenance industrielle, à l’hydraulique et au numérique frugal. Nous avons pris trop tard le train de l’intelligence artificielle,mais de nombreux sujets en friche méritent que la France se place en position d’avant-garde: nouvelles énergies, quantique, projets de développement européens via les instituts et les laboratoires les plus puissants de nos universités.

Les exemples ne manquent pas. ITER, grand projet mondial de fusion nucléaire, atteste de notre capacité scientifique. La chaleur dégagée par les centres de données peut alimenter les réseaux urbains si nous organisons sa récupération et son injection. L’ingénierie verte devient un champ d’innovation aussi stratégique aujourd’hui que l’aéronautique hier.

La revalorisation de l'outil industriel appelle à une véritable stratégie énergétique, avec un objectif clair : sortir progressivement des énergies fossiles qui composent encore près de 60% des ressources mobilisées par notre pays. C'est pour cela que j'ai proposé d'inscrire dans notre Constitution l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050. Cela implique d'opérer une transition à grande échelle des énergies fossiles vers l'électricité.

Pour y arriver, nous devrons respecter un principe simple en regagnant notre souveraineté énergétique. En trouvant les moyens d'être indépendants en la matière pour ne plus avoir à subir les règles du marché et de l'importation. Nous connaissons l'objectif : trouver pour la Nation un consensus sur le long-terme qui nous permette d'assurer la transition énergétique qui s'appuie sur ses deux jambes. D'un côté une production d'électricité abondante, sûre, décarbonée, stable, bon marché et souple, de l'autre, une demande d'énergie contenue en volume et gouvernée par la raison.

Pour tenir cet objectif, nous devons poursuivre d'abord la grande épopée nucléaire que nous tenons en héritage du Général de Gaulle. Nous avons changé de siècles, de normes et de connaissances des sujets, et cela appelle à de nouveaux défis, de nouvelles contraintes et de nouvelles opportunités, mais cela n'ébranle pas notre conviction que la souveraineté énergétique française devra compter sur une réhabilitation de notre parc de centrales. Nous devons viser un nucléaire, plus moderne, qui produise beaucoup moins de déchets et dont la gestion soit irréprochable, tout en évaluant lucidement le rôle d'un éventuel renouveau nucléaire.

Pour reprendre le fil de notre souveraineté, la recherche nucléaire et la modernisation de nos centrales devront s'adosser au déploiement massif des renouvelables électriques. Eolien terrestre et marin, solaire, hydraulique, biomasse : pour développer le parc énergétique français et nous affirmer durablement comme un pays en pointe, il faudra nous rendre capables non seulement de produire plus et plus durablement, mais aussi de stocker et de gérer nos flux. Aujourd'hui, ces énergies sont intermittentes et instables. Il nous faudra apprendre à les maîtriser et à les réguler.

Parce que la question n'est pas seulement celle de la production, mais celle de la rationalisation et de la lutte contre la déperdition énergétique. Abonder dans le sens de réseaux électriques intelligents, appuyés sur des nouvelles technologies capables de calculer en direct les besoins exacts, moderniser nos réseaux de transports, investir dans l'isolation qui permet de réduire de 40% à 60% la consommation de chauffage, sont les conditions d'atterrissage de ce nouveau mix énergétique pour réduire nos usages et avancer vers la sobriété. C'est bon pour le climat, bon pour le portefeuille, et créateur de travail dans nos territoires.

Voilà notre feuille de route : défendre notre indépendance, accélérer les renouvelables, rénover massivement les bâtiments, et inventer le nucléaire de demain. C’est à ce prix que nous garderons notre avance, que nous protégerons les Français, et que nous serons à la hauteur du défi écologique.

Crédit : Claude Monet, La gare Saint-Lazare, 1877
Crédit : Claude Monet, La gare Saint-Lazare, 1877.

La France peut devenir en quelques années l’avant‑garde européenne, voire mondiale, de l'énergie verte et de la production responsable. Nous ne pouvons pas rester spectateurs quand l'Allemagne ou les Pays-Bas avancent rapidement sur l'hydrogène vert. Réaffirmons l’ambition de nous imposer dans les biotechnologies, les nanotechnologies et l’énergie. Nos ingénieurs, chercheurs et techniciens sont présents partout et pas seulement à Paris, de Lyon à Marseille, de Toulouse à Grenoble, de Nantes à Lille, de Nancy à Clermont‑Ferrand. La puissance publique doit les relier par des instruments efficaces. Créons des pactes industriels territoriaux offrant une énergie décarbonée à prix contractuel, un foncier maîtrisé, des mobilités fiables et des formations au plus près des besoins, assortis d’un guichet unique et de délais opposables via des contrats de service public pour les projets stratégiques. À partir de ces écosystèmes, nouons une alliance nouvelle — un triumvirat pour le XXIᵉ siècle — fondée sur trois piliers : la science, le travail, les territoires.

La science d’abord, car la radicalité de l’adaptation doit s’appuyer sur la rationalité du savoir. Le travail ensuite, car la mise en œuvre de notre ambition reposera sur la force collective et la mobilisation des compétences. Les territoires enfin, car leur attractivité doit être repensée à l’aune des défis à venir.

Une ville qui plaît aux entreprises n’est plus seulement, en 2025, une ville dotée de zones franches et d’autoroutes. C’est un bassin d’emplois durable où les salariés trouvent logement, transports, santé et culture. La qualité de vie devient un argument économique décisif. De même, un pays attractif n’est pas celui qui baisse indéfiniment ses charges pour séduire des multinationales volatiles. Un territoire qui attire est celui qui prouve sa capacité à agir pour son avenir, à former des ingénieurs, à développer l’innovation et à garantir un environnement stable et vivable. On ne fait pas commerce dans un monde qui s’effondre. Il faut investir dans les fondamentaux territoriaux — eau, air, sols, santé, mobilité — qui fondent à la fois la compétitivité réelle et la dignité du quotidien.

« Le rôle de l’État — le rôle de la Nation et du politique — est d’ouvrir la voie, de créer les conditions de la réussite économique, d’accompagner, d’orienter et d’amplifier le mouvement. »

Au cœur de cette transformation de l’économie des territoires se trouve le local. Les circuits courts, les filières relocalisées, le lien direct entre producteurs et consommateurs ne relèvent pas d’une nostalgie du passé. Ils constituent l’avenir, le cœur de la modernité. Le pays est jalonné aujourd'hui de friches industrielles disséminées sur tout le territoire. Elles sont cartographiées, connues, mais sous-exploitées par la puissance publique. Un grand plan de dépollution, d'aménagement s'impose pour pouvoir les livrer clés en main à des acteurs publics ou privés pour accélérer la construction de nouvelles infrastructures climatiques. Il nous faudra par exemple imposer l’implantation prioritaire des centres de données sur des friches.

Par son modèle, la grande distribution peut et doit devenir un levier de cette transformation. Héritière des coopératives de consommation nées au XVIIIᵉ siècle et devenue un symbole de la mondialisation, elle occupe une position centrale dans la consommation des ménages. Elle incarne encore trop souvent le culte de l’abondance, mais elle peut, avec ses espaces, ses parkings, ses outils logistiques et ses vastes surfaces, servir de moteur à des filières locales. Elle peut devenir l’incubateur des circuits courts, l’accélérateur de la relocalisation, un vecteur de lien social et territorial, un pilier de solutions collectives. Deux conditions sont nécessaires : des contrats pluriannuels avec volumes garantis et prix planchers pour sécuriser producteurs et transformateurs, et une transparence des marges contrôlée par la puissance publique pour éviter toute captation indue de la valeur et étendue aux produits essentiels non alimentaires afin d’assurer une information complète des consommateurs et des fournisseurs.

Au-delà du dernier maillon que représentent les magasins, c’est toute la logistique qu’il faut repenser. Pour tenir nos objectifs climatiques, nous devons nous attaquer à ce point aveugle qui pèse environ cinquante millions de tonnes de CO2 par an. Trop souvent, des camions à moitié vides parcourent des centaines de kilomètres tandis que des entrepôts concurrents se font face à quelques kilomètres de distance. Ce modèle de concurrence à tous les niveaux ne peut plus être la norme. L’État doit encourager la mutualisation. L’impératif écologique, c’est la fin du chacun pour soi.

Partager les infrastructures, remplir mieux les camions, rationaliser les flux, tout cela offre des bénéfices économiques et écologiques. La mutualisation réduit massivement les émissions et les coûts pour l’ensemble des acteurs — producteurs, transporteurs, distributeurs — et, au final, pour le consommateur. C’est un cercle vertueux : moins cher et plus vert. Reconnectons les zones d’activités au rail et au fluvial avec des sillons fret garantis sur des axes prioritaires assortis de contrats de performance et d’indemnités en cas de non-tenue, électrifions massivement le dernier kilomètre et déployons des corridors poids lourds zéro émission.

L'une des clés de cette réussite tient dans la transparence des outils. Les conditions opaques, les accords noués dans l'ombre, le manque de contrôle créent un système à huis clos qui permet aux grands groupes de fixer leurs propres règles sans rendre de comptes. Donnons aux citoyens les clés de compréhension et d'accès pour forcer les entreprises à agir de façon vertueuse : fixons des cadres sécurisés de coopétition, c'est-à-dire de mise en commun des outils logistiques entre des acteurs rivaux sur le marché, validés par l'Autorité de la concurrence. Et imposons un open-data logistique obligatoire pour éviter les trajets à vide, accessible à tous les acteurs économiques mais aussi aux citoyens qui en font la demande pour vérifier le bon usage des moyens routiers. Généralisons dans le même mouvement l’écoconception logicielle et assurons la transparence des indicateurs énergétiques et climatiques dans un registre public. Enfin, rendons publiques les influences sur la décision, finançons des contre‑expertises indépendantes et ouvrons les données afin que chacun puisse suivre et évaluer la transition. La démocratie gagne toujours à dire ce qu’elle fait et à montrer ce qu’elle corrige.

Ainsi, en mutualisant les moyens, en densifiant le maillage logistique, en rapprochant les entrepôts des bassins de consommation, en reconnectant les villes au rail et au fluvial, en électrifiant la route, et en donnant à chacun les clés d'accès, nous construirons un écosystème vertueux respectant des seuils clairs.

Le rôle de l’État — le rôle de la Nation et du politique — est d’ouvrir la voie, de créer les conditions de la réussite économique, d’accompagner, d’orienter et d’amplifier le mouvement. La puissance publique est le premier moteur de la transition et doit montrer l’exemple. Plutôt que de relever un plafond spécifique sans mise en concurrence, renforçons l’accès des entreprises de l’économie sociale et solidaire par l’usage étendu des marchés réservés et de critères sociaux et environnementaux, et simplifions leurs procédures d’accès à la commande publique. Utilisons pleinement les leviers existants : clauses environnementales et sociales, pondération du cycle de vie, allotissement, marchés réservés, partenariats d’innovation. L’objectif n’est pas d’affaiblir la concurrence, mais d’orienter la demande publique vers la qualité et la sobriété. Mobilisons aussi les bras financiers de l’État. Appuyons‑nous sur la Banque publique d’investissement et la Caisse des dépôts et consignations, avec l’appui de la Banque européenne d’investissement, pour multiplier et augmenter les prêts d’honneur destinés aux entreprises qui s’engagent dans la bifurcation écologique.

Surtout, nous ne devons plus avoir peur d’investir. La philosophie financière d’Emmanuel Macron, reprise dans la proposition budgétaire de François Bayrou, nous conduit au désastre. Refuser d’investir dans des secteurs stratégiques et repousser la planification plonge le pays dans l’incertitude et creuse la dette tout en prétendant la réduire. Refuser d’investir un peu en amont dans un secteur souverain conduit, en temps de crise, à dépenser beaucoup pour compenser notre impréparation. Repeindre la coque du Titanic n’évitera pas le naufrage. Les initiatives souveraines pourtant émergent partout sur le territoire.

Les investissements écologiques d’aujourd’hui sont des dépenses évitées demain. Chaque euro consacré à la rénovation énergétique, aux mobilités propres ou à l’efficacité industrielle épargne, à terme, des dizaines d’euros de catastrophes, de soins et d’urgences. Si nous voulons tenir les accords de Paris, nous devons mobiliser d'ici à 2030 l'équivalent de ce que nous avons investi depuis 1990.

« La boussole de la pensée humaniste reste la même : c’est la politique de la raison et du respect des seuils, au service de l’humain et de son environnement. »

Rien n’aura de portée si nous restons isolés. L’Europe ne doit être ni vassale ni naïve. Elle doit affirmer une préférence climatique dans sa commande publique, exiger la réciprocité d’accès à ses marchés, activer ses instruments anti‑coercition lorsque nécessaire et accélérer les projets importants d’intérêt européen commun pour les batteries, les électrolyseurs, les pompes à chaleur, les semi‑conducteurs sobres et les réseaux intelligents, en l’opérationnalisant dans le cadre des règlements zéro net et anti coercition.

Elle doit mener une politique ambitieuse des matières premières et du recyclage stratégique et promouvoir la standardisation ouverte, technique et numérique, qui libère l’innovation tout en évitant les dépendances.

La boussole de la pensée humaniste reste la même : c’est la politique de la raison et du respect des seuils, au service de l’humain et de son environnement. C’est la conviction que les solutions sont à portée de main et qu’il suffit de donner un coup d’épaule à l’histoire pour la faire bifurquer. C’est la certitude que l’équilibre est une radicalité, et même la seule capable de rassembler assez de bonnes volontés pour reconstruire et protéger nos biens communs et l’intérêt supérieur de la Nation. Nous régulerons pour protéger, nous investirons pour produire mieux, nous partagerons pour tenir ensemble. Ce n’est pas la fin du mois contre la fin du monde, c’est la fin du mensonge qui les opposait.

– Dominique de Villepin